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Le Big Data au service de la médecine : portrait du Professeur Marc Cuggia

A Rennes, le traitement des données massives de santé est une réalité. Portrait et interview du Professeur Marc Cuggia, initiateur de la plateforme Ouest Data Hub.

Il est de ceux qui font bouger le territoire. Le Professeur Marc Cuggia est un spécialiste reconnu de l’informatique médicale. Praticien hospitalier au CHU de Rennes, enseignant-chercheur au LTSI – une unité INSERM de pointe dans les technologies pour la santé – il est l’initiateur avec son équipe du Ouest Data Hub (ODH), la plateforme interrégionale de données de santé du Grand Ouest. Une première en Europe, et un modèle pour d’autres territoires et groupements hospitaliers en France et à l’international.

Lancée par le groupement HUGO (Hôpitaux Universitaires du Grand Ouest), cette plateforme sécurisée au service de la recherche et de l’innovation mutualise sur projet les données médicales de 6 établissements hospitaliers : Nantes, Rennes, Brest, Angers, Tours et l’Institut de cancérologie du Grand Ouest. Elle permet de partager et d’exploiter un gisement de données issues de 130 millions de documents (comptes rendus, prescriptions, résultats d’imagerie…), 5 millions de patients et 6 millions de séjours hospitaliers, soit environ « 1,2 milliards de données structurées et mises en qualité ». Une petite révolution dans le monde de la recherche médicale…

D’origine niçoise mais breton d’adoption depuis son internat de médecine, son instigateur le Professeur Marc Cuggia est « très très attaché à la Bretagne » et à sa culture. Celui qui pratique la musique bretonne et dont les enfants parlent breton est un fervent représentant du territoire, qu’il « défend bec et ongles » explique-t-il, amusé. Il s’est prêté au jeu de l’interview.

En quoi l’écosystème rennais est riche et favorable à l’innovation dans le domaine de la santé ?

Rennes Métropole a une histoire forte avec les technologies de l’information et de la communication et le secteur du numérique. C’est une terre d’innovations du fait de la présence de nombreux acteurs (universités, écoles, centres de recherche, entreprises…). Nous bénéficions également de l’impulsion et de la confiance de la direction générale du CHU de Rennes.

Pour ma part, je suis très heureux que notre équipe puisse apporter une contribution au rayonnement du territoire, de la Bretagne et au développement du numérique dans la santé.

Par reconnaissance envers les institutions qui nous font confiance et qui nous soutiennent, pour faire connaître nos travaux, mais aussi pour informer les patients et les citoyens, il est important de communiquer et d’expliquer ce que nous faisons à Rennes et sur le territoire.

Marc Cuggia, en tant que chercheur, quel est votre « fil rouge » ?

Portrait Marc Cuggia
Marc Cuggia

Les données de santé ont toujours été essentielles dans le domaine médical. Nous – praticiens et cliniciens – utilisons les données cliniques depuis que la médecine existe. Mais l’informatisation du dossier patient a décuplé leur potentiel et ouvert la porte à de multiples usages !

Plusieurs enjeux ont ainsi émergé. En premier, il a fallu s’attaquer aux défis techniques et scientifiques pour traiter avec des outils adaptées les données de santé. Ces données dites de vie réelle sont celles disponibles par exemple dans les dossiers médicaux. Par rapport aux données spécifiquement collectées pour la recherche, ces données sont plus volumineuses, plus hétérogènes, mais également plus riches puisqu’elles touchent tous les domaines de la médecine. Il y a également des enjeux juridiques, déontologiques et éthiques liés à la protection de ces données et relatifs à l’utilisation faite de ces vastes gisements constitués dans les hôpitaux.

Mon fil rouge, c’est de permettre l’exploitation des données dans des finalités qui servent le patient, qui servent la société et la recherche. Cela dans des conditions qui soient garantes à la fois d’une excellence scientifique, éthique et réglementaire en matière de protection des données personnelles.

Les hôpitaux sont aujourd’hui dépositaires de données à la fois extrêmement riches et en même temps extrêmement sensibles, puisque liées à la santé des personnes. Il est donc primordial que l’exploitation scientifique de ces données soit comprise des patients, notamment du point de vue de la finalité des projets.

Le groupement HUGO a franchi une étape majeure avec le lancement du « Ouest DataHub », dont votre équipe a développé l’environnement logiciel. En quoi la coopération entre les territoires est-elle indispensable pour exploiter le potentiel du traitement massif des données médicales ?

La coopération interrégionale est indispensable pour plusieurs raisons. D’abord, les hôpitaux collectent une fraction des données de la population française, c’est-à-dire celles des patients venus dans nos établissements pour une hospitalisation ou une consultation. La mutualisation multicentrique des données de santé permet par exemple de disposer de plus d’informations concernant une pathologie particulière.

Ensuite, il y a la question de la technicité et des compétences scientifiques et c’est là tout l’enjeu de la coopération entre établissements. L’intérêt du Ouest Data Hub est d’agréger des expertises cliniques, techniques et scientifiques présentes au sein de nos différents hôpitaux et équipes de recherches du Grand Ouest. Ces écosystèmes collaborent déjà de manière très active : sur le soin, l’organisation des prises en charge, et de la recherche… Au travers du Ouest Data Hub, nous proposons un modèle de coopération, autour des données de santé de vie réelles, qui est exemplaire et unique en France !

Nous avons également dû construire un modèle de gouvernance commun puisque nous sommes sur des modes d’organisation différents. Il s’agissait d’harmoniser un certain nombre de sujets :  les données, les procédures d’instruction des projets et de réalisation des projets ; et de fluidifier notre capacité à prendre en charge des études…

Enfin, notre objectif était par ailleurs de maintenir une relation forte avec la communauté d’experts que sont les cliniciens. La plateforme ODH est née des hôpitaux universitaires et associe des centres de lutte contre le cancer. Elle ne met pas seulement techniquement à disposition des données pour mener des projets de recherche : elle a aussi pour vocation d’accompagner des projets portés par des réseaux de cliniciens.

Avec la plateforme ODH, le Grand Ouest est précurseur en France…

L’informatisation des données concerne la plupart des hôpitaux en France mais plusieurs choses font effectivement la différence dans le Grand Ouest, notamment à Rennes.

D’une part, il y a la coopération entre établissements universitaires via la création du réseau HUGO. Il y a une dizaine d’années, nous avons développé à Rennes une technologie dite « d’entrepôt de données » qui a rapidement intéressé d’autres hôpitaux. Avec nos collègues du CHU de Brest, nous avons donc créé 2 centres de données cliniques à Rennes et à Brest, en vue de développer des usages à partir des données collectées. Ce cadre nous a permis de lancer un projet interrégional, qui a été un succès ! Dans chaque hôpital a été créé un centre de données. Ensemble, nous avons ensuite créé le réseau HUGO puis la plateforme Ouest Data Hub.

Le Groupement HUGO dans l’Ouest

D’autre part, cette dynamique se développe sur le reste du territoire. La technologie développée à Rennes et employée par les autres CHU et centres anti-cancer du réseau HUGO est aujourd’hui déployée dans plus de 17 CHU et centres de lutte contre le cancer en France. Cela représente à peu près la moitié des hôpitaux universitaires et elle a vocation à se déployer encore plus largement.

Ethique, transparence, sécurité… Les enjeux du big data dans le domaine médical sont majeurs. Avec quels secteurs d’excellence du territoire travaillez-vous pour relever ces défis ?

D’abord, notre modèle d’organisation est important puisque les centres de données cliniques du Grand Ouest sont multidisciplinaires. Nous avons mis en place un conseil scientifique et éthique interrégional qui examine l’ensemble des projets arrivant sur la plateforme. Ce conseil fait appel à des profils pluridisciplinaires et un représentant des associations de patients.

Pour relever le défi du traitement des données médicales, chaque établissement du Grand Ouest tisse des liens avec l’écosystème local, y compris en dehors du monde académique. Nous travaillons avec des startups autour de technologies ou de projets spécifiques. Nous leur apportons des données et une expertise complémentaire, ainsi que la possibilité d’éprouver leur outil dans un environnement d’usage de données. La plateforme ODH démultipliera les possibilités et champs d’application de nouvelles technologies dans les domaines numérique et médical.

Quid de la collaboration à l’échelle européenne et internationale ?

Nous collaborons à l’échelle européenne et internationale dans le cadre de projets scientifiques. Le modèle allemand, proche du nôtre, est très intéressant. L’Etat y a débloqué d’importants moyens sur les territoires, dans les Landers, plus précisément, dans les universités, dans les centres hospitaliers universitaires pour la création de Centres d’Intégrations des Données, très similaires à nos CDC.

Le Québec est exemplaire en ce qui concerne les enjeux d’information et de sensibilisation des patients et citoyens sur l’usage des données. Nous travaillons étroitement avec les équipes de l’Université de Laval ou de l’Université de Sherbrooke.  Rennes Métropole, Saint-Malo et le Québec coopèrent d’ailleurs dans leurs filières d’excellence communes parmi lesquelles se trouve la santé.

Nous collaborons avec de prestigieuses universités à l’étranger sur l’usage de ces données par exemple pour la détection d’épidémie notamment avec une équipe à Harvard University. Cette collaboration comprend également l’échange d’étudiants, l’élaboration de publications scientifiques communes…

Nous sommes également en lien avec d’autres équipes françaises ou établissements d’excellence en France également en réseaux, en particulier des CHU dans l’Est et dans le Nord de la France, qui mettent en place la même approche par réseaux de centres de données. Cela va nous amener à travailler entre « hubs locaux » et sur des projets entre les régions.

A quoi ressemblera le clinicien-chercheur de demain ?

Chaque hôpital du Grand Ouest a aujourd’hui son centre de données cliniques et pourra utiliser la plateforme ODH pour traiter des données mises en commun par tous les centres. Dans ces derniers, les cliniciens qui prennent en charge les patients sont également de plus en plus nombreux à faire de la recherche, et donc à maîtriser les technologies d’analyse de données, d’intelligence artificielle…. Les jeunes chefs de clinique sont les futurs utilisateurs et les innovateurs dans ces domaines.

Qu’est-ce qui vous anime en vous levant le matin Marc Cuggia ?

D’abord, que mes collaborateurs soient fiers du travail collectif accompli. Il m’est essentiel que ce qu’on l’on fait soit utilisé par d’autres et que nous contribuions à faire progresser les connaissances dans nos domaines. Il y a encore 3 ou 4 ans, je pensais que le partage des données de santé à l’échelle du territoire du Grand Ouest resterait une utopie. et pourtant, nous y sommes ! Nous avons créé les conditions et ouvert le champ à de nombreux projets de recherches et d’innovation au service des patients.  

(Copyright GCS HUGO)

*Créé en 2005, le groupement des Hôpitaux Universitaires du Grand Ouest regroupe les CHU-CHR des régions Bretagne, Pays-de-Loire, Centre-Val de Loire, en qualité de membres fondateurs (CHU Angers, CHU Brest, CHU Nantes, CHR Orléans, CHU Rennes et CHU Tours). Trois établissements hospitaliers fortement impliqués en recherche clinique ont rejoint le GCS HUGO en tant que membres associés : l’Institut de Cancérologie de l’Ouest, le Centre Hospitalier du Mans, et le Centre Hospitalier de Vendée.

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