Brasserie artisanale

Ouvrir sa brasserie artisanale à Rennes : ils racontent !

Rennes Métropole compte 7 brasseries artisanales. Qui sont ces amateurs de bières devenus professionnel(le)s ?

La bière* et la Bretagne, c’est une histoire qui dure. Ils ou elles ont franchi le pas de l’entrepreneuriat et ont décidé de brasser leurs bières locales. Ils nous racontent leurs parcours, leurs projets, leurs brasseries… et nous livrent quelques conseils pour se lancer. Avis aux amateurs !

La Bretagne est une terre fertile pour la tradition brassicole. On y recense près de 150 brasseries et microbrasseries, dont 24 rien qu’en Ille-et-Vilaine, la plupart créées ces dernières années. Pourtant, cette culture ne date pas d’hier : la brasserie de Rennes (aussi appelée Brasserie Graff ou Saint-Hélier) a été créée en 1873 et la Coreff, à Morlaix (Finistère), en 1985. Cette dernière, première microbrasserie française, marque le renouveau des microbrasseries en France.

La filière (re)prend son essor avec l’arrivée d’un grand nombre de jeunes brasseurs entre 2010 et 2016, proposant des bières bretonnes adaptées aux nouvelles valeurs des consommateurs, et confirmant l’intérêt pour des produits bio et locaux. Ce marché, de plus en plus dense, fait du territoire un terrain de jeux passionnant pour tous les amateurs de bières avides de découvertes.

De brasseurs amateurs à professionnels

La bière est souvent une histoire de duos. Née en 1996 au Pays de la Roche aux Fées, la Brasserie Sainte-Colombe fait figure de matriarche. Avec son mari Henri, Gonny Everts partage la passion du brassage amateur. « Au démarrage, nous avons eu quelques difficultés à nous fournir en matière premières, en fournitures, et en bouteilles… Il existait très peu de brasseries ! » se souvient-elle. En 2020, leur brasserie a produit 400 000 litres de bière dans leur nouvel entrepôt à Corps-Nuds.

Les voyages agissent aussi comme une sorte de révélateur. Québec, Inde, Mexique… Beaucoup ont ramené dans leurs valises l’idée de proposer des « craft beers » (bières artisanales). C’est le cas de Stéphane qui a embarqué son ami Thomas dans l’aventure : « Au départ, l’idée était de brasser pour nous et les copains, et petit-à-petit, ça s’est transformé en projet professionnel » raconte le fondateur de la Brasserie Skumenn. Ils démarrent dans le garage des parents en 2014 pour, 6 ans plus tard, installer leurs machines, ouvrir un magasin d’usine et un brew-pub à Cesson-Sévigné, tout près de Rennes.

Frédéric et Alexis se sont eux-aussi lancés dans l’aventure brassicole en commençant dans un garage, avant de lancer la Brasserie du Vieux-Singe à Saint-Jacques-de-La-Lande. « Nous avons réellement démarré en 2011, en brassant une à deux fois par an les premières années. Puis nous nous sommes pris au jeu, nous sommes passés à 80% tous les deux pour brasser un jour par semaine » raconte Alexis.

Chez Louarn, Brieg et Corentin sont devenus brasseurs après le retour de ce dernier d’un voyage au Mexique. Les deux amis démarrent munis d’une casserole, d’un réchaud, la bible « How to Brew » de John Palmer en mains. Après avoir fait de leurs amis leurs bêta-testeurs, ils optent pour le financement participatif et lancent leur entreprise en 2018.

Brieg Peresse et Corentin Le Tallec, de la Brasserie Louarn

D’autres ont décidé de jouer la partition en solo. C’est le cas de Mickaël, ex-barman en bar de nuit à Rennes amateur de mousses, qui s’est jeté dans le bain en 2017 pour ouvrir la Brasserie de La Bizhhh. Des difficultés à trouver des fournisseurs locaux et une envie d’indépendance l’ont poussé à tenter sa chance, sur ses fonds propres et sans aucune aide.
Tour à tour ornithologue, puis guide-naturaliste, puis menuisier, Bruno a quant à lui une révélation lorsque sa femme lui offre un kit de brassage. 3 ans plus tard, en 2018, il lance sa microbrasserie, « Tiens bon la barre » à Bécherel. D’abord le weekend, puis à temps plein.

« Etre sûr de la qualité de sa bière »

Pour ces artisans brasseurs, produire une bière de qualité, au goût stable, a été l’un des principaux enjeux. « Il faut être certain de la qualité définitive de sa bière » juge Gonny. Benoît Doguet, le brasseur d’Origines à Rennes, confirme : « Le plus gros défi dans une microbrasserie est de faire deux fois la même bière ».

C’est toute la difficulté de l’artisanat, mais aussi ce qui fait tout son charme. « Contrairement à l’automatisation, il est plus compliqué de réguler les températures et reproduire une bière de même qualité à chaque fois en brasserie artisanale » explique Corentin, de Louarn.

Répéter les mêmes gestes, préparer des dizaines et dizaines de brassins, goûter, et recommencer… « Après les premiers retours des amis, nous avons peaufiné les recettes pour élaborer quatre bières que nous avons pris le temps de bien travailler » raconte Thomas, de Skumenn. Une affaire de patience.

brasseurs Skumenn
La fine équipe des brasseurs de Skumenn : Thomas Cleraux, Jules Gautier, Stéphane Le Boucher (et Maxime Noell, absent de la photo).

Potasser, tester, se former, échanger…

L’ex-barman Mickaël est l’un des rares à ne pas être passé par le stade amateur. « Je n’avais jamais fait de bières avant : juste un stage de 15 jours chez Philomenn » explique-t-il. « Cela m’a permis de découvrir comment fonctionnait une brasserie, même si cela n’a pas grand-chose à voir avec le matériel que j’ai acheté d’occasion ! ». L’ex-propriétaire de son matériel l’a également briefé. La suite, Mickaël l’a trouvé sur Internet et dans les bouquins. Il reconnaît toutefois volontiers qu’« entre s’y connaître en bières et la fabriquer, ce n’est pas la même chose ! ». Bruno, le brasseur de Bécherel, a lui « tout appris sur le tas dans les livres, sur les forums ». Et en visitant des brasseries.

Car tous reconnaissent qu’échanger avec d’autres brasseurs reste la clef. « Nous avions visité beaucoup de brasseries artisanales aux Pays-Bas, notre pays d’origine » raconte Gonny de Sainte-Colombe. « J’ai également fait des stages avant de fabriquer notre propre bière en petite quantité à la maison. Pour elle, il ne faut pas hésiter à acquérir de l’expérience en tant qu’amateur. « Avec les nombreuses brasseries et microbrasseries existantes, le niveau de qualité est élevé aujourd’hui ».

A gauche, Colin Doucet, au milieu, Alexis Métaireau et Frédéric Sureau, à droite, de la Brasserie du Vieux-Singe

Pour apprendre le métier, les fondateurs de la brasserie du Vieux Singe ont eux-aussi fait la tournée des collègues : « en Anjou, en Mayenne, via des petits stages en brasseries d’une journée et également chez les voisins rennais de Skumenn» raconte Alexis. Comme les autres, ils ont aussi passé pas mal de temps à se documenter en ligne, notamment sur le portail brassageamateur.com, « une vraie mine d’informations ! »

Son comparse Frédéric a suivi une formation à la Rochelle, le DU d’Opérateur de Brasserie à La Rochelle, recommandée par ses pairs. Chez Skumenn justement, Thomas était également passé par ce diplôme, « histoire de ne pas improviser ».

Un investissement en temps et financier à ne pas négliger

Apprendre le métier, travailler ses recettes, peaufiner son projet, trouver un local, des financements, s’équiper… Même au format artisanal, se lancer nécessite un minimum d’investissement, en temps comme financièrement. La Brasserie Skumenn a vu le jour avec 20 000 € de fonds, pour passer à un chiffre d’affaires de 800 000 € en 2019 et des locaux flambants neufs. De quoi faire rêver les brasseurs amateurs. « La première année, nous avons investi 25 000€ » explique Corentin, de la Brasserie Louarn.« Mais globalement, je dirais qu’il faut compter au moins 50 000 € pour démarrer avec du matériel de qualité et ‘voir venir’ ».

Au démarrage, « il faut penser à tout » poursuit Corentin : « un local pas trop petit (et le loyer qui va avec), les machines, le matériel, les matières premières… soit pas mal de charges fixes au final. De là à se verser un salaire, il faut compter un peu de temps et être patient. Et lorsque l’on est en reconversion ou que l’on a une famille, ce n’est pas forcément évident ».

brasserie Sainte Colombe
Les cuves de La Brasserie Sainte Colombe à Corps-Nuds

Car les premières rentrées d’argent se font généralement attendre. Un écueil auquel ne pensent pas toujours les porteurs de projets brassicoles. « Il faut compter entre 4 et 5 semaines de fabrication avant de sortir une bière. Pendant que la bière est dans la cuve, il n’y a pas d’autre choix qu’attendre… malgré les charges qui tombent tous les mois » explique Mickaël de la Bizhhh. « Tout cela en croisant les doigts pour ne pas avoir de souci, comme une bactérie par exemple… ».

Se faire accompagner peut être une bonne solution. Chambre de Métiers et de l’Artisanat, Elan Créateur, BGE Ille-et-Vilaine… De nombreux organismes d’accompagnement et d’aide à la création d’entreprise existent et certains de nos brasseurs en ont bénéficié.

De nombreux moyens de se faire connaître

Au lancement, le financement solidaire offre une certaine visibilité. « Cela permet de développer un réseau de personnes investies dans le projet avant même de démarrer. C’est une aventure collective » explique Corentin.

« Il y a certes le bouche-à-oreille, mais participer à des salons et des foires et gagner des prix nous a permis de nous faire connaître des médias, notamment en Bretagne, et c’est ce qui a véritablement lancé notre activité » explique Gonny. La Brasserie Sainte Colombe, a en effet vu son histoire prendre un tournant en 2003, quand leur bière ambrée remporte la médaille d’or au Concours Général Agricole de Paris. Le Saint-Malo Craft Beer Expo fait également partie des rendez-vous incontournables.

Journaux et radios locaux… Il ne faut pas hésiter à solliciter les médias et des journalistes. « Un article en première page durant l’été pendant notre campagne de financement a véritablement accéléré notre visibilité » raconte Corentin.

Passée la phase de démarrage, il faut se faire connaître des distributeurs – les grossistes (Ouest Boissons, BAF  – Bière Artisanale Française, BVS 35…) et/ou points de vente (bars, caves, magasins…). A Rennes Métropole, Tony Misiaszek (Biozh) s’est spécialisé dans la distribution de bières bretonnes artisanales. Le « Marchand de bières » évite ainsi aux brasseurs de multiplier les interlocuteurs (caves, bars, restaurants…). Certains, comme Mickaël, de La Bizhhh, ont préféré ne pas avoir d’intermédiaire et capitaliser sur leur réseau et le bouche-à-oreille. Et « ça marche plutôt bien. Cette année, j’ai doublé ma production. Et je compte encore la développer ».

Le circuit-court fonctionne et les petits commerces apprécient pouvoir proposer des produits locaux et/ou bio aux consommateurs, qui en redemandent. « J’écoule ma petite production sur un rayon de 40 km autour de Bécherel » raconte Bruno de Tiens bon la barre. « 50 % en magasins bio, épiceries fines, relais fermiers, AMAP, caves, restaurants, assos et le reste en vente directe à la brasserie et sur les marchés bio. » Chez Origines, la microbrasserie ne produit qu’à la pression, seulement ce dont elle a besoin pour les clients du lieu et ne fait pas de mise en bouteille. Du circuit ultra-court !

De gauche à droite : Jean-Baptiste GLAIS, Henri EVERTS, Gonny EVERTS-KEIZER

Entre entraide et partage de savoir-faire : de la place pour tous

Aujourd’hui, le bio et le local reste un élément différenciant, même s’il caractérise une partie grandissante de la filière au sein de la métropole. Pas toujours facile de se démarquer, donc, mais fort heureusement, et tous les brasseurs s’accordent sur ce point, « il y a de la place pour tout le monde ».

« Il y a un super bon état d’esprit en Bretagne, et des valeurs de partage » confie Mickaël de La Bizhhh. « On s’échange et on s’achète du matériel, on se dépanne en matières premières… Tout le monde s’entend très bien ».

Tous partagent les mêmes valeurs. A la Brasserie du Vieux-Singe, Fred et Alexis mettent à disposition leurs recettes, sur le principe des logiciels open source, un héritage de leurs carrières de développeurs informatiques. Ils ont même partagé les secrets de fabrication de leur laveuse de fûts sur leur site internet, que d’autres brasseurs locaux ont repris.

« Nous sommes arrivés en Bretagne par hasard, via le travail de mon mari » explique Gonny de la Sainte-Colombe. « Aujourd’hui nous ne regrettons rien. L’identité bretonne est forte et il y a un réel dynamisme économique. Qui plus est, les Bretons sont ouverts aux nouvelles activités. »

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Pour acheter – ou consommer – en direct dans les brasseries de Rennes Métropole :

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Plus d’infos sur la bière et les brasseries bretonnes :

* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

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