Recherche plastique Rennes

À Rennes, la recherche améliore les propriétés des bioplastiques

Rencontre avec Jean-François Carpentier, professeur à l'Université de Rennes 1.

Responsable du groupe « Organométalliques : polymères et catalyse », le chercheur, qui a reçu la médaille d’argent du CNRS en 2014, interviendra lors de « Plastiques, changement de Cap ! ». La première édition de l’événement organisé par les métropoles de Rennes et Brest aura lieu les 30 juin et 1er juillet 2022 (à Brest) et en 2023 (à Rennes).

Près de 400 millions de tonnes de plastiques sont produits chaque année. Leur production (émettrice de plusieurs dizaines de milliards de tonnes équivalent CO2) comme leur élimination (moins de 10 % sont recyclés) posent un problème environnemental majeur. Sont-ils remplaçables ? Quelles solutions la chimie verte peut-elle apporter ?

Vous êtes originaire du Nord, pourquoi avez-vous décidé de vous installer à Rennes ?

J’ai obtenu un diplôme d’ingénieur chimiste à Lille. Ma thèse portait sur la catalyse en chimie fine destinée à produire des molécules à forte valeur ajoutée, utilisées par exemple en pharmacie et parfumerie. Je suis devenu chercheur au CNRS. En 2001, j’ai eu l’opportunité, en devenant professeur à l’Université de Rennes 1, de créer mon propre groupe de recherche sur la catalyse de polymérisation. Ce groupe « Organométalliques: polymères et catalyse » est aujourd’hui constitué de 4 chercheurs permanents et d’une dizaine de doctorants et post-doctorants. Nous faisons partie de l‘Institut des sciences chimiques de Rennes (ISTIC), qui regroupe les chimistes du territoire.

Vous travaillez sur « la catalyse de polymérisation stéréocontrôlée ». En quoi cela consiste-t-il ?

Le catalyseur est une substance qui, sans en être altérée, accélère et/ou rend plus sélective une réaction chimique. Avec un gramme d’un catalyseur, on peut produire des tonnes de matières plastiques en contrôlant très finement leur « microstructure ». Nous travaillons notamment sur l’utilisation d’intrants non polluants, non toxiques, économes en remplacement des matières pétrochimiques, pour produire des polyesters (catégorie de polymères) biosourcés, dégradables et/ou recyclables en fin de vie. La catalyse de polymérisation stéréocontrôlée est une chimie de très haute sélectivité qui permet de maîtriser l’agencement spatial des unités constitutrices du polymère et d’en améliorer les propriétés. Un autre axe de nos recherches est l’intervention sur leur nature chimique pour obtenir des matériaux aux propriétés hybrides. L’objectif est d’arriver à concilier les propriétés avantageuses des plastiques classiques à celles des polyesters.


Participez à l’événement « Plastiques, changement de Cap ! » les jeudi 30 juin et vendredi 1er juillet 2022 à Brest.


Vous dites avec humour : « le plastique, c’est fantastique »…

Les plastiques sont des matériaux formidables, très stables, conciliant de façon inégalée diverses propriétés, et utilisés dans énormément de domaines. On n’a pas trouvé mieux pour l’instant. Ce qui pose problème, c’est pour partie leur production car les polymères de synthèse qui les composent sont très majoritairement issus de ressources fossiles telles que le pétrole ou le gaz naturel, mais surtout leur cycle de vie : collecte, tri, recyclage, élimination. La demande mondiale de plastiques continue à croître, mais les problèmes environnementaux qui l’accompagnent aussi. Il ne s’agit ni de condamner, ni de supprimer ces plastiques issus de la pétrochimie. L’idéal serait de cibler leur usage en les restreignant aux seuls domaines où ils sont irremplaçables, de réduire les plastiques à usage unique, d’arriver à mettre en place des filières efficaces de récupération, de tri et de recyclage, pour que ces plastiques aient une durée de vie de dizaines d’années.

Et de produire de nouveaux matériaux, comme des « bioplastiques » ?

Ils existent déjà, comme le PLA (acide polylactique), alternative au polystyrène qui est un plastique très controversé (toxicité résiduelle). Mais le PLA reste assez cher à produire, davantage que les plastiques traditionnels, et la question est : est-il si écologique que ça ? Il est issu de la canne à sucre, de l’amidon de maïs, de la betterave, et on ne pourra produire des dizaines de millions de tonnes par an sans se poser des questions. Il y aura, je pense, un choix à faire quant à l’utilisation des terres agricoles, entre production alimentaire et production pour les bioplastiques. Ça peut être une catastrophe écologique, comme au Brésil. La solution viendra peut-être de l’utilisation des déchets alimentaires ou agricoles pour produire le sucre nécessaire à sa fabrication…

Une autre voie est possible : nous travaillons avec mes collègues sur des processus chimiques de synthèse de PHAs (polyhydroxyalcanoates, bioplastiques produits naturellement par voie bactérienne). Nous cherchons à diversifier et améliorer les propriétés de ces polyesters biodégradables, via la catalyse de polymérisation. Les matériaux synthétiques ainsi obtenus pourraient trouver leur marché parmi les polymères dits de commodité, bon marché, utilisés à grande échelle comme les sacs à usage unique, le film alimentaire. Nous sommes somme toute assez peu nombreux à nous intéresser à cette innovation de rupture.

Une recherche purement académique ?

Cette recherche prospective se fait en lien avec le monde industriel. C’est indispensable pour préciser un cahier des charges, baliser notre chemin et nous assurer qu’une éventuelle invention scientifique aboutira à une application industrielle. Nous avons ainsi noué un partenariat en 2018 avec le CNRS et l’entreprise rennaise Demeta, au sein du laboratoire commun GreenCare, et nous collaborons depuis de nombreuses années avec une grande compagnie pétrolière fournisseur d’énergies pour améliorer les propriétés des matériaux. Les polymères et plastiques sont toujours plein d’avenir !

(Propos recueillis par Béatrice Ercksen. Photo de Une : iStock – CasarsaGuru)


Témoignage : A Rennes et Brest, on forme les acteurs de la transition verte

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